Introduction
As the saying goes, type is a beautiful group of letters, not a group of beautiful letters.
Cette citation de Matthew Carter, devenue une maxime courante parmi les créateurs de caractères, propose de mettre au second plan l’expression de leur virtuosité pour favoriser une certaine logique typographique qui tend à rapprocher visuellement les formes des lettres entre elles. L’harmonie du système typographique, le fonctionnement idéal entre les lettres, se traduit par la création de liens de parenté visuels entre les signes, et ce à différentes échelles. C’est l’appréciation, l’établissement et la quantification de ce système d’harmonie que j’interroge dans ce mémoire.
Pourquoi, et dans quelles mesures la parenté régit-elle la logique typographique ?
Envisager la typographie sous l’angleFRUTIGER Adrian, Des Signes et des Hommes, De la parenté entre les lettres, Éditions Deltz & Spes, 1978, p. 103. de la parenté et de son champ lexical induit rapidement le terme de famille.
Le secret d’un caractère de texte réside dans la fine coordination de lettres formant une communauté riche en contrastes qui est toutefois capable de conserver un lien familial.
Ici, Frutiger révèle deux éléments majeurs. Il met en place le paradoxe typographique : cette tension permanente entre contrastes —générateurs d’individualité — et effet de groupe inhérent aux logiques de parentés. Le deuxième point est l’introduction du vocable de la famille qui sous-tend que l’alphabet peut être abordé comme une « famille de lettres ».
À un second niveau, un ensemble d’alphabets destinés à être utilisés conjointement constitue, ce que l’on nomme, une famille de caractères ou une famille typographique. Nous pouvons alors considérer qu’il s’installe, là aussi, des liens de parenté peut-être à un autre niveau entre ces fontes. L’objet de cette recherche est d’observer et analyser ces liens visuels, la manière dont ils s’établissent dans un système typographique ainsi que leurs différentes intensités.
En sus de cette approche analytique et formelle, il serait intéressant de conduire une interprétation plus théorique de la parenté en typographie. Quelles structures de parenté pouvons-nous imaginer observer, et selon quels critères ? Ainsi, les deux approches devraient se répondre l’une et l’autre. Et nous permettre d’envisager largement la parenté entre apparence formelle et liens familiaux.
Le matériau qui sera le support de cette recherche est constitué d’un corpus de caractères typographiques, au sens du principe mécanique de caractères mobiles inventé par Gutenberg, ce système dont la logique première, par opposition à la calligraphie, met en place un seul et unique allographe pour chaque signe.
Tout d’abord, nous aborderons l’origine scripturale pour montrer que les enjeux de la manuscription et de la typographie divergent sur ce point de parenté. Les cas d’études choisis illustreront la typographie depuis les premiers types romains de Subiaco vers 1470 jusqu’à des créations de caractères numériques contemporaines.
Nous essayerons de comprendre à travers cette large période, marquée par des développements techniques et des changements d’outils à tous les niveaux du processus comment cette idée de parenté évolue.
Cette première partie de la recherche, portera essentiellement sur l’analyse visuelle des relations formelles entre les lettres au sein de leur alphabet respectif : définir les éléments qui réunissent différents signes typographiques entre eux, notamment leur répartition et leur efficience. Il sera ensuite questionné l’ambiguïté de leur rôle : ces éléments d’union sont aussi des éléments de distinction.
Le paradigme de la famille permettra, dans un second temps, de définir les différentes modalités de rapprochements familiaux en typographie, c’est-à-dire la réunion de plusieurs alphabets sous une même identité familiale. Ce regard de biais sur les relations typographiques envisagées comme des liens familiaux — avec toutes les nuances que cela peut produire — pourra peut-être nous permettre de discerner des liens et des logiques sous des rapports qui ne sont pas envisagés dans la pratique de création elle-même. Pour délimiter ces investigations, nous observerons les familles typographiques au travers du prisme des trois larges structures de parentés proposées par Levi-Strauss :
Les relations de consanguinité qui permettent de mettre au même plan différents caractères dans l’entité d’une famille.
L’idée de la famille marquée par la chronologie. Comment s’opèrent les effets de filiation ou effets généalogiques dans des ensembles typographiques ? Les alliances typographiques : ces réunions d’alphabets différents qui créent la notion de couple sous toutes ses appropriations — entre réunion et hybridation.
C’est finalement le rôle de l’individualité de la lettre ou de la fonte que nous observerons ; la lettre maillon essentiel de l’alphabet qui les réunit, et la fonte : individualité de la famille typographique.
Comment se répartissent, expression individuelle qui fait émerger l’individu dans le groupe, et l’établissement de liens de parenté qui à l’inverse uniformisent et apparentent.
Parenté et individualité : la logique d’un système typographique ?