Les premiers mots du cinéma
Le film commence. La salle est obscure, le public a arrêté net toute conversation au signal lumineux, compris par tous. L’extinction de la lumière dans la salle signifie que le film va commencer, que le spectateur va être plongé ailleurs, dans une autre histoire. Dans l’obscurité, on s’oublie, on oublie qui est assis à côté de soi. On distingue mal les visages de chacun, leur physionomie ; ils sont tous envahis par la même noirceur homogène.
Seul l’écran devient la lumière de la salle et capte toutes les attentions. Les tournesols tournent leurs pétales vers le soleil. Nous devenons un peu tournesol dans un cinéma. Tout le monde se tait et regarde attentivement vers l’écran…
La révélation peut commencer. Révéler, ôter un filtre, rendre visible ce qui était caché. Cela renvoie aussi au support d’origine du cinéma, la pellicule. Les pellicules cinématographiques et photographiques se révèlent au moyen de bains. Au cinéma, la projection du film sur un écran, la lumière ajoute une étape supplémentaire de révélation. L’écran est un support de révélation. Mais que peut révéler le cinéma ?
Introduire, commencer, entreprendre, amorcer, débuter, démarrer, entamer. Autant de mots pour décrire ces premiers instants en compagnie d’une œuvre.
Premiers mots pour la rencontre avec un livre. Premiers sons pour une musique.
Et pour un film ? Par quoi commence un film ? La fin, elle, était explicitement indiquée par un carton jusque dans les années 50. Pas de doute pour le spectateur.
Pour le début du film, la radicalité est plus difficile puisque pas de carton « The Beginning » ni « Début ».
Quels éléments accompagnent ces premiers instants, ces premiers frémissements face à un représentant du 7e art ? Sont-ce des mots, des images, des sons, un pêle-mêle de ces éléments qui nous accompagnent ?
Au commencement, n’était pas le verbe, seulement l’image.
Le train est arrivé en Gare de La Ciotat sans annoncer sur l’écran son arrivée. Le nom des films étaient avant l’apparition du générique soit annoncés à haute voix, soit mentionnés sur une affiche.
L’écrit (titre du film et nom du producteur) s’est inséré plus tard, au début du siècle, en raison du piratage des films.
Suite à de nombreux vols et copies, les maisons de productions décident de riposter et de marquer le film de leur sceau pour affirmer leur propriété. D’abord réduit aux logos des maisons de production et au titre du film, le générique s’est étoffé au fur et à mesure des revendications. Les noms des acteurs et réalisateurs s’ajoutent dans les années 1910, tandis que ceux des scénaristes arrivent vingt ans plus tard à la suite de manifestations. L’apparition de son nom au générique est devenue une forme de reconnaissance.
Le nombre de mentions augmente de plus en plus jusqu’à aboutir à une liste très longue. Une liste plus longue engendre une séquence plus longue, d’où une migration du générique vers la fin du film pour ne pas qu’il empiète démesurément sur les premières minutes du film et qu’il ennuie le spectateur.
Que subsiste-t-il du générique d’ouverture actuellement ? Quelle évolution a-t-il subi ?
L’apparition du premier générique date de 1903 pour le film The Great Train Robbery considéré comme l’un des premiers westerns. Ce générique se réduit à un carton, composé du titre au centre ainsi que de quatre éléments, allant par paire, à chaque coin. Aux coins opposés en haut à gauche et en bas à droite se trouve le copyright suivi de l’année d’apposition de ce copyright puis dans les coins restants, vient le logo de la maison de production. Avec ces mentions croisées, se construit un chiasme.
Ces quatre données montrent bien la cause juridique d’apparition du générique, ils marquent la propriété.
Néanmoins, ces logos auraient pu être disséminés discrètement sur la pellicule sans en faire un carton particulier. De plus, la typographie aurait pu être plus sobre, plus simple, à l’image d’un cartel pour une œuvre d’art.
Il y a, malgré ce but légal, une volonté créative de présenter le film et d’évoquer la figure du train, présent certes dans l’histoire mais aussi dans le titre. Les mots ne suivent pas de lignes horizontales mais des courbes ce qui permet un effet de mouvement, effet renforcé par des approches assez variées entre les lettres. Elles paraissent animées, comme mues par le passage du train.
La forme typographique vient redoubler le sens du mot. Le terme train est donné à voir par des idées qui lui sont associées comme le dynamisme et non directement par des lettres faisant apparaître une forme de train. Cette mise en avant typographique dès le premier générique appuie la dimension imagée de l’écrit, pourtant si souvent défini comme une adaptation pérenne du langage oral et donc comme héritier de ce dernier.Anne-Marie CHRISTIN, L’image écrite ou la déraison graphique.
Cette typographie peinte à la main vient être complétée par des ornements floraux, qui eux paraissent de simples décorations, éléments de remplissage sans véritable lien avec le thème.
Ces ornements et ces jeux typographiques viennent sans doute de la tradition de l’affiche qui était l’un des premiers moyens d’annoncer le film, avant l’apparition du générique.
Noms d’acteurs, de réalisateurs, sociétés de productions, dédicaces, mentions légales… C’est à tous ces mots que je m’intéresse. Tous ces termes qui accompagnent nos premiers instants en compagnie du film, ces mots qui nous font basculer vers la fiction.
Quelles apparences prennent-ils, quels sont leurs rôles ? Quel impact ont-ils sur notre vision du film, des films, du réalisateur ? Sont-ils présents pour annoncer, pour surprendre, pour évoquer, pour raconter ?
Tour à tour western, dégoulinante de sang ou d’une élégante sobriété, la typographie au cinéma revêt tous ses costumes et nous indique un aspect du film. Qu’ils soient illustratifs, descriptifs, annonciateurs, évocateurs, quels rapports y a-t-il entre le film et le choix typographique ?
Révéler des images sur un écran, révéler le titre du film, son univers, l’équipe qui lui a donné naissance. Que la typographie nous révèle-t-elle du film qui suit ?
Dans cette relation entre typographie et générique, le lien peut s’établir à double sens. Ainsi, quelle influence le médium du cinéma a-t-il eu sur la typographie ? Qu’a-t-il pu révéler de l’impact typographique ainsi que du rôle de l’écrit ?
Commencer un film de fiction certes, mais surtout commencer ce mémoire.
Pas de générique pour la circonstance, seulement l’occasion pour moi de vous souhaiter une bonne séance.