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Samuel Pin — Topologie lexicographique

Avant-propos

Le dictionnaire est un recueil de mots, classés suivant un ordre le plus souvent alphabétique, qui donne des informations relatives à ces mots et à ce qu’il représentent.

Lorsque le dictionnaire se prend à son propre jeu voilà ce que cela donne, vingt-huit mots qui résument un recueil qui en contient plus de cent-mille.

Ce travail de recherche a débuté d’une manière totalement naïve. Il était question de comprendre ce qu’est le dictionnaire monolingue français, ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il a été. 

Mais plus l’exploration s’intensifiait, plus cette question me paraissait réductrice. Le dictionnaire inclut deux dimensions : spatiale et temporelle. La prise en compte de ces deux éléments engendre donc un grand nombre d’interrogations. Pourquoi classer des mots par ordre alphabétique (08) ? Pourquoi existe-t-il différents dictionnaires s’ils définissent tous les mêmes mots censés avoir les mêmes sens (11) ? Les questions devenaient de plus en plus abstraites et la volonté de comprendre ce qui se cache derrière un objet « réputé sage »BARTHES Roland, Préface du Dictionnaire Hachette. Langue, encyclopédie, noms propres, Paris, Hachette, 1980, p. VI. 1877 devenait urgente. 

Le dictionnaire est un espace traversé par des problématiques d’ordre social, culturel, politique, intellectuel. L’alphabet (08) en fait partie, tout comme l’auteur (12) du dictionnaire si il y en a bien un (13). Comprendre l’architecture (06) d’un tel outil devenait indispensable pour entamer la suite de ces recherches. Dans un monde où le numérique s’impose comme le support de l’avenir, quel est l’impact de cette évolution sur la materialité du dictionnaire (04) ?

Le dictionnaire est partout, comme si la langue française avait voulu évangéliser toute la population à coup de dictionnaire. Il est devenu la référence de tous (02) mais il faudrait peut être comprendre à qui il se destine (01).

Avoir parcouru des dizaines de dictionnaire a complexifié le problème. Les différences entre chaque définition devenaient plus subtiles au fur et à mesure de mes comparaisons (07), l’ordre alphabétique perdait toute logique (09) mais il conservait quand même cette grandeur, comme si tout ce qu’il contenait avait une valeur inestimable (03).

Cet objet a traversé les siècles, retracé « le passé d’un parler déjà fait2 » (15) tel un texte sacré (14) et il continuera sa quête de l’omniscience (16) pour un jour peut être posséder tous les mots (05), tout en continuant de faire divaguer ses lecteurs les plus avertis (17).

La forme de ce mémoire est influencée par ces recherches. Cette analyse se déploiera sur 17 parties énoncées ci-dessus. Écrites dans un ordre défini, elles sont ensuite réorganisées afin d’être ordonnées alphabétiquement. Ce procédé ne vise aucune extravagance formelle mais tend à illustrer la complexité du schéma dictionnairique. Il offre la possibilité au lecteur d’avoir une double lecture sur ce mémoire : une première fragmentée par l’ordre alphabétique et une seconde retraçant chronologiquement un chemin établit par mes recherches.

Alphadécédet(08)

Oui, le dictionnaire est un « théâtre », avec une mise en scène. L’ordre alphabétique, souvent corrigé par les additifs de fins d’articles qui renvoient aux antonymes et aux synonymes, est une mise en scène1.

L’ordre alphabétique est rigide et intransigeant, il ordonne, choisit la place de tous les éléments sous ses ordres dans un contexte donné. D’où provient cette volonté de classement alphabète ? Quelle raison logique permet d’affirmer que la lettre A est la première, ensuite vient B jusqu’à Z ? Pour Perec ce questionnement est inextricable. Cette interrogation sur la raison logique et l’utilité pratique du classement alphabète amène l’écrivain à considérer ce choix comme quelque chose de « rassurant 2 ». Devant ce dictat de l’ordre, le lecteur, l’auteur devient passif. N’ayant pas de réponse logique, il se laisse faire et l’ordre alphabétique aux apparences d’un juge sans pitié devient synonyme de neutralité. 

L’ordre alphabétique est un système paradoxal, il est repris dans des contextes opposés. Il peut symboliser des connaissances rudimentaires telles que des expressions populaires comme l’a b c du métier ou renvoyer à l’a b c par exemple. Mais ce classement peut subitement prendre une forme hiérarchique où chaque lettre a un poids. 

En Amérique du Nord, l’alphabet joue le rôle d’un sytème de notationA où un A symbolise l’excellence et un F la déception. Comment se repérer quand un système de classement arbitraire censé nous orienter nous livre tant de contradictions inexpliquées ?

Il n’y a certes pas de raison logique justifiant le système de classement alphabétique mais cette méthode a tout de même une histoire. La première volonté de classification d’une liste de mots donnant lieu à un prémice d’alphabet aurait été identifié sur un tesson de poterie datant du XIVe siècle avant J-C trouvé à Thèbes. Les mots étaient ordonnés en fonction du son de leur première lettre. Mais ce n’est que deux mille ans plus tard qu’est conçu l’ouvrage qui, premier connu d’une longue série, inaugure le classement alphabétique : le Souda, une encyclopédie en grec avec plus de 30 000 entrées. Mais jusque-là cette typologie ordonnatrice n’avait jamais été employée, le classement alphabétique demandant un trop grand effort d’abstraction aux lecteurs de l’époque, l’ordre privilégié pour les dictionnaires et les encyclopédies resta le classement thématique. L’arbitraire n’était peut être pas du goût de l’époque où la religion et les traditions amenaient une logique de lien plus « organique ». 

Mais progressivement l’abstraction alphabétique prit sa place dans le classement lexicographique. L’Académie française publie son premier Dictionnaire en 1694 et l’ordre alphabétique n’est pas utilisé, on y préfère un classement par racine pour favoriser les relations entre les mots de la même famille. Cette méthode de classement par déploiement depuis une racine commune peut sembler plus logique et explicite que le classement alphabétique car il prend en compte un plus grand nombre d’éléments significatifs pour constituer son classement. Mais en raison du succès du Dictionnaire Universel d’Antoine Furetière sorti à la même période et qui propose le classement alphabétique, la deuxième édition du Dictionnaire de l’Académie adoptera donc ce même protocole en 1718. 

L’acceptation du principe sera quasiment totale lorsque 54 ans plus tard est publiée l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ou encore Dictionnaire universel des arts et des sciences de Denis Diderot et Jean le Rond D’Alembert. L’utilisation de cette méthode dans un ouvrage encyclopédique d’une telle ampleur marque l’émergence d’une nouvelle vision du monde où le classement alphabétique participe à l’abolition des hiérarchies dans divers domaines et accentue la porosité des différents régimes de connaissance. 

La question de l’arbitraire créée par ce procédé n’est toujours pas soulevée. Qu’apporte ce système au contenu de l’ouvrage ? Quelles en sont ses conséquences ? Queneau parle du dictionnaire comme d’un alphadécédet 3. Qu’entend-t-il par là ? Le classement alphabétique endommage-t-il la substance du mot où le dictionnaire devient-il finalement une rubrique nécrologique de la langue française ordonnée de A à Z ?

L’AUTEUR S’AFFIRME(12)

CHIMÈRES ET UTOPIES(05)

CORPS VIVANT(16)

« DICTIONNAIRE SQUELETTE » OU « DICTIONNAIRE CIMETIÈRE » (CHOIX ET ARCHITECTURE)(11)

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