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Loan Bottex — Transmettre le savoir expert

Introduction

L’écriture scientifique a cessé d’être considérée uniquement comme un support de diffusion des connaissances, comme cela a longtemps été le cas par les historiens et les philosophes des sciences, pour être enfin analysée comme un dispositif matériel participant directement à la production des savoirs.Grossmann, Francis, L’Auteur scientifique. Des rhétoriques aux épistémologies, Revue d’anthropologie des connaissances, vol.4, 3, no. 3, 2010, pp. 410 – 426.

Qui parle dans un écrit scientifique ? L’auctorialité de l’écrit, à travers ses dimensions communicatives, éditoriales et juridiques, pose un réel enjeu ; le rôle de la référence, de la citation, l’assistance dans l’écriture par d’autres chercheurs, ainsi que dans le cas qui nous intéresse, la thèse, la relecture et la correction par un directeur de recherche, montrent la polyphonie à l’œuvre dans l’énonciation d’un écrit scientifique. Comment se matérialise l’interdépendance entre les acteurs de l’énonciation ? Quelle est la place de l’institution dans la production des savoirs universitaires ? 

L’auteur écrivant majoritairement par et pour ses pairs, vers une « canonisation », en répondant à des « traditions rhétoriques et disciplinaires particulières », quelle est la marge de manœuvre idéologique du doctorant ? Les structures argumentatives à l’œuvre témoignent de ces traditions ; la citation, la référence systématique sont la marque de l’exigence intellectuelle universitaire, mais font-elles également le jeu politique du champ dans lequel elles s’inscrivent ? Les interactions sociales du champ universitaire influencent-elles le point de vue, la posture de l’auteur et de son écrit ? Si cette discipline décrite par Francis Grossmann est à l’œuvre d’un point de vue rhétorique et phraséologique, un corpus de règles est également à l’œuvre au niveau formel de la publication. La sédimentation des usages par l’opération combinée du temps et de l’indifférence des acteurs se meut en ce qui apparaît comme un style graphique. 

La légitimité des acteurs intervenant dans le processus énonciatif est le fil conducteur de cette étude, la relation entre ce qui se donne à lire et le sens du texte étant le fruit d’une collaboration composite. Quelle légitimité pour les règles qui encadrent la mise en forme du contenu, dans l’exercice de la thèse ? Le sens et la forme du texte sont-ils un couple immuable, l’image du texte se proposant comme l’intermédiaire graphique du sens du texte ? 

L’écriture est traditionnellement la matérialisation de la pensée par le biais de l’outil corporel, la main. Dans le cas du traitement de texte, une partie de l’action est désormais entre les mains de la machine, prenant ainsi part au processus, sans que le scripteur ait réellement moyen de contrôler ce processus. Georges Perec, L’infra-ordinaire, Seuil, 1989.

Le pouvoir tutélaire des logiciels de traitement de texte quant au déploiement graphique du contenu se pose comme inévitable, car incorporé dans notre rapport à l’écrit, sur le mode de l’évidence, de « l’infra-ordinaire ». Ils tentent de proposer une image de texte générique, adaptable et combinable, visant à uniformiser les propositions graphiques comme les modes d’élaboration du contenu. Quel impact ces processus ont-ils eu sur l’aspect graphique de la publication scientifique, et plus particulièrement des thèses ? La démocratisation du traitement de texte dans le monde a profondément modifié notre rapport à la notion de « publier », en ouvrant la porte à l’autopublication, sur supports numériques notamment. Les possibilités offertes par le numérique et par Internet jouent-elles un rôle au niveau de l’auctorialité de l’écrit ? Un nouvel acteur de l’énonciation éditoriale se présente ici, le site web, et son designer, qui propose et encadre graphiquement le contenu du site. L’autopublication scientifique sur des supports digitaux s’affranchit des acteurs éditoriaux classiques pour être confrontée à de nouveaux : cela marque-t-il une rupture dans la conception de l’écrit scientifique ? Les outils propres aux supports digitaux, comme les zooms par exemple, participent à la création d’une image de texte secondaire, paramétrée par le lecteur : est-il légitime pour proposer une image du texte personnalisée ? 

Cette étude ne vise pas une réponse complète et définitive aux problématiques graphiques, si tant est qu’il y en ait une, dans l’exercice de la thèse, mais s’entend plutôt comme l’occasion de faire jouer un regard de designer sur des acteurs, outils, et considérations qui conduisent à la production des savoirs universitaires, dans son histoire récente comme dans ses possibles incarnations à venir.

Structures de texte polyphoniques et figure de l’auteur

Construction de la notion de preuve

L’emploi du mot scientifique ne définit pas ici un domaine de recherche particulier, mais est entendu comme « une posture empirique à vocation expérimentale ». Il est ici question des formes de la recherche en général. On se propose ici d’étudier la mise en place historique d’une architecture de texte générique supportant un protocole expérimental visant à produire de la connaissance scientifique. Nous étudierons donc le format IMRAD, pour Introduction, Methods and Materials, Results and Discussion, qui, comme le précise David Pontille, est un dispositif matériel, témoin d’un agencement particulier des éléments textuels et graphiques, mais aussi un cadre lexicographique et linguistique pour la rédaction de l’article. En effet, chaque structure de texte engendre son lot de formules, de mots, de positionnements. 

Cette structure prend ses fondements dans l’évolution des comptes rendus d’expériences, des écrits scientifiques au cours de l’histoire. Conjointement, la syntaxe de la notion de preuve est alors posée : comment prouver et rédiger ensuite les postulats ou les résultats de l’expérience, de la démonstration ? 

Au xviie siècle, de nombreux facteurs ont permis l’ascension d’une structure énonciative de la preuve, qui ne sont autres que « l’avènement de l’imprimé, le développement des sociétés savantes, la création des premières revues scientifiques, l’émergence d’un programme expérimental. » Cette mise en place d’une structure commune pour les comptes-rendus de protocoles expérimentaux permet dans un premier temps, la reproductibilité des expériences, et dans un second temps, la certification par la communauté du savoir, les pairs. D’autre part, la question de la propriété des découvertes et l’attribution des rôles dans ces découvertes sont aussi mises au clair. Il ne convient pas ici de détailler toute l’évolution historique des structures de texte scientifiques, mais plutôt de saisir ce qu’engendre ce type d’énonciation au niveau social et cognitif. La construction de la notion de preuve s’est d’abord constituée autour du témoignage : en effet, le témoignage de personnes physiques faisant office de témoins, permettait d’affirmer ou d’infirmer le protocole mis en place. La notion de témoignage sera peu à peu suspendue, par un procédé rhétorique visant à élargir les témoins visuels de la scène par une description précise dans le compte rendu des modalités de l’expérience. Je m’explique, le témoignage oculaire de plusieurs tiers permettaient une « validation » par le fait qu’ils avaient « vu » l’expérience, et attestaient donc du processus expérimental : ce procédé va peu à peu laisser place à une description méticuleuse des conditions de l’environnement expérimental, des conditions de réalisation de l’expérience et de tous les éléments susceptibles de fournir des détails sur le processus, pour attester de la véracité des propos tenus. Pontille explique : dans la mesure où l’environnement et les conditions de l’expérience font l’objet d’une étude particulière et approfondie dans le compte rendu : 

l’objectif revient à produire dans l’esprit du lecteur une image de la scène expérimentale qui supprime la nécessité du témoignage direct et de la reproduction. Grâce au témoignage virtuel, la multiplication des témoignages était en principe illimitée.David Pontille, Materialité des écrits scientiques et travail de frontières : le cas du format IMRAD. P. Hert et M. Paul-Cavallier. Sciences et frontières, E.M.E, pp 229 – 253, 2007.

L’enjeu de la description dans le compte rendu fluctuera avec le temps, pour se stabiliser, non plus dans l’environnement de la situation expérimentale, mais dans les mesures, spatiales et temporelles, de l’expérience en elle-même. C’est à la fin du xxe siècle qu’une structure de texte commune va se définir à travers un format, l’IMRAD. Propulsé par l’American National Standard Institute, il définit précisément le contenu des textes scientifiques, en tous cas la méthode de rédaction. Succinctement, l’introduction pose le problème à étudier, les hypothèses envisagées, et les modes d’investigations à venir. La partie « Material and methods » définit « l’explicitation de la manière dont l’étude a été conduite ». La partie « résultats » confronte les données collectées aux hypothèses de départ. 

La structure argumentative de ce format ne restitue pas le déroulement exact de l’expérience en réagençant par des entités textuelles définies (titres, sous-titre, texte courant), l’expérience en elle même : « L’enchevêtrement et la superposition des opérations de recherche, telles qu’elles apparaissent dans le cheminement réel” des investigations empiriques, sont masqués. » L’expression de la preuve en est alors induite : la structure argumentative apparaît comme linéaire, les titres et parties se succédant selon un procédé logique, les résultats sont la confrontation des hypothèses de l’introduction et des données dévoilées par la partie « Method ». Les titres séparent la structure argumentative et le protocole expérimental tout en articulant l’énonciation dans une suite logique. C’est « ce double mouvement de découpage et d’enchaînement linéaire des sections du texte qui structure l’expression de la preuve ». David Pontille déclare que l’espace graphique joue ici un rôle extrêmement important puisqu’il permet l’unité de la démonstration par la cohérence graphique des titres standardisés, et le « lissage des éléments hétérogènes sur un même plan. Remettre en question l’idée qu’un seul et même plan dans la page soit un atout pour la transmission d’une structure d’écrit linéaire semble être pertinent. En effet, la mise en perspective de certaines parties pourrait souligner certaines entités textuelles sans pour autant nuire à la validité du protocole ou à la légitimité de son auteur. 

La notion de preuve semble être au centre de l’étude des écrits scientifiques, puisqu’elle ne s’exprime pas seulement à travers la structure discursive même de l’écrit, mais aussi par les entités paratextuelles. Cette structure discursive qu’est le format IMRAD propose un cadre d’écriture pour les chercheurs, en structurant l’écrit par des formules et autres champs lexicaux, mais l’analyse et le découpage sémantique de thèses de recherche par exemple révèlent d’autres usages phraséologiques.

Traditions rhétoriques et phraséologie : habitus et écrit universitaire

Le phénomène d’habitus, qui est vraisemblablement ce que l’héritage éducatif et sociologique d’un style de vie, c’est-à-dire la manière d’être, de penser et d’agir, est complètement applicable au monde universitaire. Les usages à l’œuvre, qu’ils soient pensés ou non, sont à l’origine de ce que l’on appelle communément le style universitaire, qui résulte d’un schéma de pensée particulier, plein de révérences et de références, ainsi qu’un mode de communication visuelle austère.Pierre BOURDIEU, La distinction, p.121 collection Le sens commun, Editions de Minuit, 1979, Paris.

Avant de s’étendre sur la composition intrinsèque des textes, il semble judicieux de soulever quelques questionnements liés à la question du style universitaire. Si l’on a parlé précédemment du format IMRAD, qui vise à produire, par une structure discursive standard, de la connaissance scientifique, il semblerait que l’avènement d’un style dit « universitaire » n’aille pas dans le sens de l’objectivité ; si le style universitaire s’incarne dans un schéma de pensée commun, il est intéressant de questionner la possible remise en cause du protocole. En effet, si l’ensemble des pairs d’une communauté de savoirs, censé exercer un contrôle interdépendant sur les publications, pense de la même manière, comment discuter la théorie, mettre en place des contre-expériences, visant à épuiser le champ des possibles pour n’en garder que la « substantifique moelle » pour reprendre l’expression de Rabelais. Séparer le schéma de rédaction et l’architecture de pensée semble intéressant en ce sens qu’une méthode rédactionnelle érigée en standard ne témoigne pas forcément d’une architecture de pensée similaire. Une standardisation des schémas de pensée est-elle possible alors ? Les schémas cognitifs, qui sont en quelque sorte un modèle de pensée, basés sur l’expérience, et permettant de réagir à des situations nouvelles, semblent affirmer ce postulat. Les ingénieurs et les philosophes auront, du fait de leur passé et expériences différentes, une manière différente d’appréhender un sujet même s’ils écrivent selon une même structure. 

Qu’est-ce qu’un écrit universitaire ? Est-il le fruit d’une pensée originale suivant un protocole expérimental visant à la production de savoir ? Il faudrait donc s’attarder à définir la notion d’originalité, dans la mesure où celui qui parle dans la thèse est le fruit du capital culturel défini par Bourdieu, mais aussi des références auxquelles il fait allusion dans sa pratique de l’écriture. Pour Jean Ferreux, l’écrit universitaire est d’abord « marqué par le rapport hiérarchique entre l’étudiant et son directeur, et plus généralement entre l’étudiant et l’Académie ».Jean FERREUX, De l’écrit universitaire au texte lisible, Editions Téraèdre. Il démonte les procédés par lesquels l’étudiant produit de la recherche, avec pour horizon ultime, sa canonisation lors de la soutenance, et son corollaire qui n’est autre que l’acceptation parmi la communauté de pairs liée au domaine de recherche. Ce postulat questionne le rôle de l’écrit dans le système universitaire, et même de l’étudiant. En poussant la provocation, la thèse ne serait qu’un exercice « de style », un marqueur social permettant l’accès à l’étage supérieur dans la hiérarchie universitaire, prenant la forme d’un rite de passage, du doctorant au docteur. 

La thèse défendue par Ferreux n’est pas à prendre pour argent comptant, mais demeure plutôt une base pour expliciter les enjeux de pouvoirs au sein de la communauté universitaire. 

Il suffit de regarder en détail la liste des sujets déposés chez les patrons” les plus attractifs pour voir que ce qui est attendu (objectivement) du patron de thèse, ce n’est pas, sauf exception, une véritable direction de recherche, des conseils méthodologiques ou techniques, ou même une inspiration philosophique, mais une sorte de reconnaissance de qualité, et la liberté afférente, et, plus inconsciemment, une direction de carrière, un patronage… Bref, les affinités intellectuelles entre les grands patrons et leurs clients sont beaucoup moins évidentes que les affinités sociales qui les unissent.Jean FERREUX, De l’écrit universitaire au texte lisible, Editions Téraèdre.

La pensée bourdieusienne est très critique vis-à-vis du système universitaire et expose les mécanismes à l’œuvre dans l’espace public. L’université semble être un espace où les luttes de pouvoirs se déchaînent, et il détaille la relation entre les positions, qui sont le champ des possibles de l’espace universitaire, et les dispositions, qui sont le comportement des acteurs dans l’institution. C’est là qu’est introduite la notion d’agent, qui se situe « précisément au croisement de l’objectif et du subjectif. » Pierre MACHEREY, L’Université sans les étudiants : l’ « Homo academicus » de Bourdieu, 2010, http://​philo​large​.hypothe​ses​.org/376.L’agent permet de comprendre le fonctionnement des luttes en jeu à l’université, et le maintien de cette dynamique par les agents eux-mêmes. En effet, c’est le principe de l’Illusio, développé par Bourdieu, qui entraîne les agents à prendre part au système des luttes sans même y avoir pensé, « sur le mode de l’évidence », et qui maintient en place et reproduit la structure existante. La lutte des pouvoirs se caractérise à plusieurs niveaux, sur l’opposition des facultés, dans le sens de la discipline de recherche, mais aussi sur les facultés entre elles ; nous pouvons aussi remarquer ce phénomène au niveau des agents, sur des rapports hiérarchiques ou horizontaux entre deux directeurs de recherches ou maîtres de conférence, entre un étudiant et un directeur, entre étudiants aussi. L’ensemble de ces mécanismes propose une université bien plus sociale qu’intellectuelle, dans la mesure où, comme le soulignait Bourdieu, les accointances entre les personnes observées dans ce champ de pouvoir se définissent par des notions complètement externes à la recherche en tant que telle : poursuite d’étude, prestige d’un directeur de recherche par exemple. À partir de ce constat, nous pouvons aisément supposer que les comportements personnels des étudiants s’inscrivent dans un champ communicationnel avec leurs pairs du système universitaire sur un mode subjectif, faisant intervenir des notions comme la séduction, la révérence, avec pour dominante majeure la soumission ; en face, comme élément de réponse, les acteurs hiérarchiques du jeu se complaisent à l’égard de cette soumission.

De là, le questionnement porte sur la dualité des modes communicationnels en jeu à l’université : dans la mesure où les rôles sociaux et physiques sont joués par les acteurs sans qu’ils en aient la pleine conscience, mais que la tâche de l’étudiant, au sens du travail, semble devoir répondre à des critères d’objectivité menés aux termes de protocoles expérimentaux encadrés, l’obligation d’objectivité demandée par la communauté scientifique semble relativement vaine. Dans l’exemple de la thèse, les choix faits par les étudiants et leurs homologues hiérarchiques, les directeurs, sont posés de manière subjective et très contrainte, l’équation étant simple : un directeur de recherche, par ailleurs chercheur, travaille sur un sujet, ou plutôt un domaine de recherche, et oriente les étudiants à s’inscrire dans la continuité des recherches, limitant ainsi la marge de manœuvre possible. Comment la pensée qui découle de ce partenariat pourrait-elle être objective, à vocation universelle ? L’affaire n’est pas aussi simple : un jeu de rôle complexe investit les relations sous couvert de statuts sociaux prestigieux et d’une objectivité et impartialité affichée. En d’autres termes, les sujets de recherche s’inscrivent dans une démarche de laboratoire de recherche, et la volonté politique qui y est liée. Cela n’empêche pas non plus les situations où la pure objectivité déroge à la règle, pour glisser vers un état mêlant rationnel et émotionnel, vers une subjectivité des instances de pouvoir. Cependant, l’analyse syntagmatique de l’écrit scientifique révèle aussi des postures particulières de la part des auteurs, et montre que les enjeux sociaux soulevés ici sont aussi présents à l’écrit.

Entités paratextuelles : la citation

Éffacement énonciatif : fluctuation de la figure de l’auteur

Suite logicielle et influences graphiques

Références, déférences : une citation graphique ?

Usages non pensés : l’infraordinaire et le traitement de texte

Un couple développeur-auteur-lecteur et les enjeux politiques du texte informatique

Pratiques contemporaine de l’énonciation scientifique

Publication de contenus scientifiques en ligne : Quelle image du texte ?

Hypertextualité ou la remise en question des modes de lecture

Conclusion

Le processus énonciatif du doctorant se propose comme une collaboration d’acteurs, positionnés dans ce champ d’action qu’est l’université, possédant un corpus de règles et d’usages qui participe à « structurer l’écriture des textes, fixer des formes de présentation des faits, stabiliser des procédures d’évaluation et délimiter les frontières d’un groupe professionnel ». Cette polyphonie s’exprime à de nombreux niveaux, le premier étant la révérence faite aux membres d’un jury et au directeur de recherche dès l’entame de la lecture, sur la couverture. La situation de révérence, c’est-à-dire l’expression directe du joug universitaire, s’exprime aussi au travers d’une phraséologie particulière, incorporant formulations étouffantes et autres figures de style. L’attitude citationnelle est également un témoignage solide de cet effacement énonciatif, mettant en place des pare-feu conceptuels, citant pour saluer les pairs de la communauté, et ainsi passer la membrane poreuse qu’est la soutenance — entre la vie d’étudiant et la vie d’auteur au sein d’une communauté —, sans encombre. Le lien entre l’écrit conceptuel et ce qui se donne à lire, au travers de l’image du texte, s’envisage dans un autre corpus de règles, un autre pare-feu protégeant d’une image du texte trop expressive, qui viendrait voiler le texte et corrompre le propos. La règle s’annonce alors en gardien de la lisibilité et du sérieux académique, malgré des usages empruntés au monde du livre comme à celui des logiciels de traitement de texte. Dès lors, d’autres acteurs s’intègrent dans le processus énonciatif, soulevant d’autres enjeux de la production graphique universitaire. Au-delà des pare-feu, la suite logicielle : il est évident que le traitement de texte, par son incorporation lente, mais profonde dans nos modes d’élaboration du texte, définit le champ des possibles du texte graphique, influant naturellement sur la production graphique universitaire. De l’idéal d’un outil d’émancipation de la production textuelle, Microsoft Word n’est devenu qu’un carcan digital, affublant tous les textes d’une image préconfigurée. La singularité de l’auteur s’amenuise pour faire valoir une publication composite, guidée par des codes et des usages peu ou prou pensés. 

De la polyphonie à la polygraphie, du pare-feu à la suite logicielle, quelle place pour la publication numérique ? Les médias digitaux interfèrent une nouvelle fois la position de l’auteur, par les processus de publication qu’ils consentent et un champ des possibles ouvert quant à l’image du texte. Le lecteur est alors acteur de sa propre lecture, par des opérations combinables comme le zoom, l’affichage de pages modulaires, la sélection dans le texte. 

Le lecteur est le dernier récepteur du texte, dans son intégrité physique et conceptuelle, mais peut-il produire son image de texte personnelle à la lecture — ce qui équivaudrait à dire que ce qui se donne à voir et à lire ne peut être prévu, le lecteur imposant en dernière instance sa propre image du texte — ? Les champs des possibles définis par les chartes ou le traitement de texte pourraient être alors remis en question, n’étant qu’une instance de l’image du texte, inscrite dans une longue temporalité qui s’étend de la production du texte à sa lecture.

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